Michel Butor « lit » 105 peintures de l’art occidental
Le
regard du romancier y capte des détails insoupçonnés.
Un article, de Michel Salem, paru dans la Tribune de Genève, le jeudi 14 janvier 2016.
Dans sa 90ème année, Michel Butor, se montre toujours aussi jeune d'esprit, en expliquant son intérêt pour l'iPad et internet. La tablette d'Apple que nous avions eu l'opportunité de lui faire découvrir, le 5 mars 2011, lors de sa venue dans sa ville natale. Voir la vidéo ici.
Dans sa 90ème année, Michel Butor, se montre toujours aussi jeune d'esprit, en expliquant son intérêt pour l'iPad et internet. La tablette d'Apple que nous avions eu l'opportunité de lui faire découvrir, le 5 mars 2011, lors de sa venue dans sa ville natale. Voir la vidéo ici.
Au milieu des années 1970, les étudiants de la Faculté des lettres de Genève firent un accueil triomphal à Michel Butor, un auteur français qui, vingt ans auparavant, avait révolutionné la littérature en déclenchant, avec quelques compères (Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon) la mouvance du « nouveau roman ».
A notre surprise,
nous vîmes débarquer aux Bastions un quinqua en salopette, qui d’entrée nous proposait
de nous intéresser autant aux arts plastiques qu’aux écrivains ; à l’acuité du
regard de ceux-ci sur le travail des peintres. Le sien s’y était exercé
assidûment depuis son Prix Renaudot 1957 pour La modification, son livre le
plus vendu, le plus traduit. Or, il rompit assez tôt avec l’écriture romanesque
pour génialement en réinventer une poétique, publier des récits de voyages, des
essais sur Rabelais et ses « hiéroglyphes » – ou expliciter chez Proust la
récurrence allégorique du nombre 7. A l’heure où l’on publie, en sa 90e année
(né en 1926, il vit à présent près de la frontière genevoise), un ouvrage à la
fois d’art et de littérature, son humanisme multiculturel reste une belle
exception française.
« Une école du regard
»
Michel Butor ne renie
aucunement ses débuts de romancier : « Le nouveau roman a aussi été pour moi
une école du regard. Pour pouvoir décrire parfaitement les choses, je me suis
mis à les observer avec beaucoup plus de précision. » Au premier plan de ces «
choses », le travail et les techniques personnelles des grands peintres : des
anciens tels Rembrandt, Dirk Bouts, Delacroix, ou des modernes comme Delvaux,
Mondrian, Alechinsky, Rothko.
Il porte sur leurs
œuvres un regard original, car décalé, tout aguiché qu’il est par des détails
instructifs que les critiques d’art souvent ne voient pas, ou négligent. Son
œil d’écrivain capte des lapsus camouflés, involontaires ou non, et sa boussole
est celle d’un poète. A 89 ans, Michel Butor conserve son étonnante fraîcheur
intellectuelle, il se dit « fasciné » par Internet et les lectures sur iPad.
Dans cette nouvelle
publication, il nous convie à redécouvrir l’histoire de l’art à travers 105
œuvres décisives de la peinture occidentale. Pourquoi 105 ? Il était nécessaire
de « choisir un nombre (…) qui donnât une sensation d’inachevé, comme le « 1001
» des Mille et une nuits. Cent, mais pas seulement cent, un peu plus, pour que
l’on ne dise : « Pourquoi pas une encore, et une autre, et dix autres… » Et de
regretter de n’avoir pas pu célébrer en son musée idéal un Masaccio, un Frans
Hals, un Caillebotte.
Christ marchant sur
le Léman
De La lamentation sur
le Christ mort de Giotto, peinte en 1305, jusqu’à la fresque Notary, taguée en
acrylique par Jean-Michel Basquiat en 1983, l’ouvrage met en regard sur une
double page l’œuvre choisie et son commentaire. Décryptant La pêche
miraculeuse, du peintre bâlois Konrad Witz, qui en 1444 représenta une scène de
l’Evangile où le Christ marche sur les eaux du Léman, Butor, qui connaît Genève,
s’y repère : « A gauche, les montagnes où j’habite, les Voirons, avec le Salève
sur la droite. Le mont pointu, en face de nous au milieu, est le Môle. »