En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.

L'homme aux 1 500 livres


L'homme aux 1 500 livres : une visite à Michel Butor

Notre journaliste Sophie Pujas avait rencontré Michel Butor chez lui, en Haute-Savoie. Retour sur une rencontre au pied des montagnes.

Publié dans Le Point le 27 août 2016 par Sophie Pujas



« Le slalom géant, ce n'est rien à côté d'une belle phrase ! » Michel Butor avait l'art de la formule malicieuse et imprévue. L'interroger, c'était se laisser surprendre, le voir botter en touche face à toute tentative de solennité. « À l'écart » : tel était le nom de sa maison de Lucinges, en Savoie, où, loin de la vie parisienne, il bâtissait son œuvre protéiforme. Sur ces hauteurs, il recevait généreusement – chercheurs, journalistes, artistes, étudiants. Encore fallait-il prendre le temps de ce pas de côté, au bout d'une route tranquille, dans ce lieu qu'il avait choisi pour sa qualité de silence. Derrière une église, et avec vue sur les montagnes qu'il aimait arpenter au matin. J'y ai découvert cette bonhomie, cette bienveillante curiosité pour l'autre dont se souviennent tous ceux qui ont croisé l'homme. Il avait l'érudition gourmande et espiègle, cultivait l'humour.

« Je n'ai pas essayé de me construire un personnage, me confiait-il alors, un sourire aux lèvres. Ça s'est fait tout seul. Par exemple, les salopettes que je porte font partie, maintenant, du personnage Michel Butor. Les gens se sont habitués à me voir avec et sont maintenant très déçus quand je n'en porte pas… » 

Un personnage qu'il a d'ailleurs joué à mettre en scène dans certains de ses livres, comme ses Génies du lieu ou Matières de rêve. Comme une revanche joyeuse.

« Aujourd'hui, on ne le sait plus vraiment, mais quand j'étais jeune, butor était vraiment une insulte impardonnable. Je détestais mon nom. Quand j'étais enfant, j'ai parfois eu des professeurs indélicats, qui m'ont fait beaucoup souffrir en faisant des plaisanteries sur le sujet. Ce nom s'est en quelque sorte marqué sur moi, comme un tatouage, une cicatrice. Quand j'ai commencé à publier, Jean Paulhan m'a dit : Naturellement, vous prenez un pseudonyme. Ça a fait brûler ma cicatrice – comme chez Harry Potter –, et j'ai dit non. J'avais essayé, plus jeune, d'user de pseudonymes, dans des revues, des textes enfouis, sans intérêt. Mais dès que j'ai publié sous mon propre nom, j'ai vraiment assumé ce butor, et voilà comment une espèce de personnage s'est formée. J'y ai assisté comme on assiste à la naissance d'un livre, en étant surpris même si on y a mis beaucoup de volonté. »

La démultiplication


Collage de Michel Butor ©

Il avait choisi de s'éloigner de la vie parisienne pour se consacrer à son œuvre. Le temps qu'il accordait à profusion à ses visiteurs frappait d'autant plus quand on savait sa frénésie de livres et de projets de toutes sortes. Cette œuvre infinie, ouverte par principe, disséminée en des centaines de livres, et impossible à réduire au nouveau roman qui a fait sa célébrité. Autour de 1 500 titres (dont seulement 4 romans) seraient à son palmarès – plusieurs sorties sont encore annoncées. Beaucoup sont des variantes, des réécritures, des éditions partielles ou augmentées de textes antérieurs, comme un joyeux et vertigineux jeu de piste à l'adresse du lecteur. « Il est presque impossible d'avoir tout lu. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas ! Pensez à Balzac ou à Hugo, deux auteurs proliférants, qui ont énormément écrit, énormément publié, qui ont eux aussi beaucoup de strates dans leurs textes, de corrections… Tant pis si on ne peut pas avoir tout lu ! » relevait-il.

Les éditions de La Différence avaient pourtant eu la belle et folle idée de se lancer dans une édition complète de ses œuvres, en douze volumes, parus entre 2006 et 2010. À l'heure du numérique, dont il était d'ailleurs curieux, Butor croyait à l'objet livre, nourrissait à l'égard de la beauté des pages une passion au long cours. N'avait-il pas, dans Boomerang (Gallimard, 1978), osé des impressions en quatre couleurs et des jeux typographiques ? Signe de cette ferveur esthétique, les collaborations, nombreuses et fertiles, avec les peintres, de l'illustration au véritable livre d'artiste conçu à deux : Vieira da Silva, Dufour, Matha, Alechinsky, Miquel Barceló, pour ne citer que quelques-uns de ces précieux compagnons de route.


À ses multiples correspondants, il envoyait des cartes postales, de petits collages réalisés par lui-même. Autre façon de se démultiplier… Il y a quelques mois, il publiait une anthologie consacrée à Victor Hugo (Hugo par Butor, Buchet-Chastel). Avec un mot d'ordre qui lui ressemblait : choisir les voies de traverse. « J'ai préféré prendre des pages qui ne soient pas déjà trop connues, de l'inattendu, car le grenier hugolien regorge de surprises. Il faut y fouiller, remuer les vieux cartons. On en ressortira toujours les mains pleines. » Comme des pages de Butor.