Michel Butor
Un écrivain populaire ?
Extrait de Patriote Côte d'Azur • N° 231 • Semaine du 16 au
22 mars 2018 • Par Raphaël Monticelli. Page 5
Les relations entre Michel Butor et le Patriote remontent
aux années 70 : à l’occasion de la sortie de Boomerang, le troisième ouvrage
de la série du Génie du Lieu, Michel Launay et Bernard Oheix interrogeaient
l’auteur sur sa démarche.
Quarante ans plus tard, en 2016, lors du décès de Michel
Butor, Patricia Prenant reprenait cette interview dans le dossier par lequel le
Patriote rendait hommage au grand écrivain disparu.
En 1978, l’une des questions, posée par Bernard Oheix à
Butor, était la suivante : « Pensez-vous avoir quelque chance, un jour futur,
de toucher un public largement populaire ? »
Et la réponse de Butor, toute de sérénité́, proposait une
sorte de programme ou de méthode de lecture : « Mais oui, bien sûr. Il y a évidemment
dans mon livre des tas de choses qu’il n’est pas possible de comprendre tout de
suite : des tas d’allusions, de références que l’on ne va découvrir et goûter
que peu à peu. Mais c’est cela qui est bien : c’est ce qui fait que ce sont
des livres qui durent et dont on va pro ter longtemps. (...) »
« En ce qui concerne la lisibilité́, ce livre est tout
autant lisible que les autres à partir du moment où l’on ad- met que l’on ne
comprend pas tout ce que l’on lit, et où l’on prend un livre pour se promener
à l’intérieur et pour aller à la découverte. Il y a des endroits où l’on
comprend très bien et d’autres où l’on comprend moins bien, et alors on va
chercher un peu plus loin, et peu à peu on se met à habiter le livre, et à
l’habiter de mieux en mieux.
Et ce livre va permettre d’habiter le monde autrement, de
l’habiter de mieux en mieux, et de savoir avec plus de précision à quels endroits
il faut agir pour le transformer.
Voilà le programme et la méthode de lecture d’un écrivain
populaire: lire, c’est habiter peu à peu les livres, pour habiter de mieux en
mieux le monde, et savoir en quels endroits il faut agir pour le transformer. »
Reprenant, entre autres, cette dernière phrase, je lui avais
dit : « Il y a du marxiste en vous, Michel Butor. » Il m’avait répondu : «
J’essaie d’être intelligent. »
« Michel Butor, écrivain populaire ». Ce sujet, je l’ai
proposée dès le mois de septembre dernier à quelques lecteurs de Butor. Il a
provoqué échanges, discussions, et, en
n de compte, les contributions que vous pourrez lire dans ce dossier.
Sur suggestion de Michel Ménaché, et avec l’accord des
autres contributeurs, le sujet est devenu une question : « Michel Butor, un
écrivain populaire ? »
« Quelle idée, ce point d’interrogation ! » écrivait
pourtant Adèle Godefroy. Elle ajoutait aussitôt : « Puis, non : je me suis
rappelée les romans de Butor leur ‘‘difficile’’ lecture (c’est ce que disent
mes étudiants, mais... moi aussi...) »
Dans le fil des
échanges, je retiens cette précaution : Populaire : ne pas confondre avec
facile.
Et ces réflexions, ces espèces de définition, parfois en
forme d’équations :
Populaire = qui est nécessaire à tous, transmissible à
tous, accessible à tous.
Facile = ce qui est immédiatement admissible, aisément
admis.
Immédiat = qui semble ne pas avoir besoin d’intermédiaire,
d’un savoir préalable.
Difficile : se dit quand on a besoin d’une aide. En fait,
toutes les disciplines, tous les objets, toutes les œuvres, tous les savoirs,
tous les métiers sont d’abord difficiles.
Facile : quand nous trouvons faciles un livre, un lm, un tableau, une formule mathématique, une
procédure technique, en électricité́, en mécanique, en plomberie... c’est que
nous avons oublié les efforts que nous avons faits pour apprendre à lire, à
regarder, à manipuler, à travailler.
Tous les contributeurs insistent sur ce point : Butor n’est
pas un auteur facile.
Et chacun d’eux précise ce qu’il y a d’éminemment populaire
dans l’œuvre de Butor.
On s’attache à un détail : évoquant la salopette de Michel
Butor, Martin Miguel y voit un signe « ouvrier », et il est vrai que Butor évoquait
volontiers le côté ouvrier et artisan du travail de l’écrivain.
On rappelle son talent de pédagogue, sa volonté́ constante
d’accompagner les autres, ses étudiants, ses amis, ses lecteurs, dans la découverte
des livres et des œuvres.
Mireille Calle-Grubert nous montre la stratégie, la mise en scène,
dont se sert Butor, lecteur de Montaigne, pour nous conduire dans l’œuvre de
cet écrivain immense, difficile et indispensable, et dans la langue française
du XVIe siècle.
Christian Skimao analyse la relation entre Michel Butor et
Jasper Johns, peintre du Pop’art... Pop, nous rappelle Skimao, c’est «
Populaire »... Et d’évoquer les images populaires que l’on retrouve aussi bien
chez les peintres Pop que dans l’œuvre de Butor.
Jean-Baptiste Sarocchi, Michel Ménaché, Christian Arthaud,
chacun selon une expérience et un angle différents, disent le trouble et
l’excitation à « accepter l’entonnement renouvelé́ du randonneur parmi la forêt
de ses livres » dont parle Arthaud. Et la confiance, enfin, qu’inspirent
l’homme et l’œuvre. C’est ce qu’évoque Ménaché quand il est reçu chez Butor,
accompagné de ses élèves « auxquels (l’écrivain) faisait découvrir ses trésors
: prestigieux et insolites livres d’artiste, de tous for- mats et sur tous
supports. (...) Populaire, au bon sens du terme, il l’était aussitôt devenu auprès
de ces jeune gens, comme moi, immédiatement conquis ».
Ainsi tous ceux qui l’ont rencontré personnellement, qui
ont travaillé avec lui, chez lui, dans une université́, dans un atelier
parlent de sa simplicité́, de son accueil, de son attention, de la solidarité́
dont il faisait preuve... toutes vertus populaires.
Martin Miguel et Gérald Thupinier nous offrent ainsi deux précieux
témoignages d’artistes qui ont fréquenté́ Butor, discuté et travaillé avec
lui. Élargissant le public, Henri Desoubeaux nous montre un auteur qui «
partait à la rencontre des ouvriers de Cadarache et d’employées des galeries
Lafayette... », et qui a fait « de la rencontre des auditeurs (...) une activité́
essentielle et qu’il n’a jamais interrompue ».
En n, pour répondre à la question, Adèle Godefroy a choisi
de nous faire entrer dans son atelier, son TD à l’université́ de Paris III...
« Un collage – précisait-elle- un collage de tout ça. Pas d’analyse. Un
collage qui dit, de lui-même... »
Un dernier mot avant de vous laisser aller à la découverte
des contributions... Rien que dans notre région niçoise, j’ai compté une bonne
centaine de personnes qui auraient pu participer à ce numéro. Impossible de
les solliciter toutes. Je remercie tous ceux qui m’ont directement ou
indirectement envoyé́ idées, images ou messages à l’occasion de la préparation
de ce numéro... et je n’en citerai aucun. Je demande à ceux qui se sentiraient
oubliés, de m’en excuser, et de bien croire que je ne saurais oublier aucun
d’entre eux.
Je m’en voudrais en n de ne pas citer les photographes dont
les clichés illustrent ce numéro. Anonymes, amis ou proches comme
Marie-Christine Schrijen, Dominique Arthaud, Anne Charvolen, Marc Monticelli,
Marc Benita, ou aussi notoires qu’André́ Villers, Serge Assier ou Maxime Godard
dont les photos m’ont été transmises par les contributeurs eux-mêmes, qu’ils
soient remerciés d’autant plus que Michel Butor fut lui-même photographe et que
je sais l’affection et l’admiration qu’il avait pour ces artistes. Que soient
enfin remerciés les contributeurs, pour la précision et l’ardeur de leurs réponses,
et pour avoir pris le temps de nous faire cadeau de ce numéro malgré́ leurs
occupations, leurs travaux et leurs recherches.