ActuaLitté
“ Michel Butor se nommait lui-même, avec humour, L'Illustre
inconnu ”
Le décès de l’écrivain, auteur du Nouveau Roman devenu
poète, Michel Butor, a appelé de multiples hommages. Une figure de la
littérature française, sans conteste, et un homme de paroles, autant que de
mots. Colette Lambrichs, directrice littéraire des Éditions de La Différence, cet
éditrice de Michel Butor, a fait parvenir à ActuaLitté un vibrant hommage.
Michel Butor, L'Illustre inconnu par Colette Lambrichs
Lorsque Agnès, la fille aînée de Michel, m’a appelée hier
soir à la maison, j’ai su immédiatement que Michel Butor était mort, mais je
n’imaginais pas avoir un tel chagrin. Nous nous étions vus en juin, avions
passé la journée ensemble pour mettre la dernière main à l’album de luxe «
Quatre-vingt-dix » que nous préparions pour son quatre-vingt-dixième
anniversaire et pour lequel il avait écrit à la main, sur de grandes feuilles,
les poèmes qui allaient y figurer accompagnées d’estampes de Pierre Alechinsky,
de Bernar Venet et de Miquel Barceló.
Miquel Barceló avec lequel nous avions pris rendez-vous, ce
jour-là, parce qu’il voulait lui montrer les grandes fresques éphémères qu’il
avait peintes sur du verre à la Bibliothèque Nationale ainsi que l’épreuve finale
de la gravure qu’il avait faite pour l’album « Quatre-vingt-dix », un portrait
de Michel Butor en torero. Comment pouvais-je imaginer que ce serait la
dernière fois que nous nous verrions ?
Laurent Ricciardi nous avait pris en photo à La Différence
et nous fixions le calendrier de nos prochaines rencontres pour fêter la sortie
de l’album ainsi que la parution de l’anthologie de ses poèmes dans la
collection « Orphée » sous le titre Par le temps qui court qu’il avait préparée
avec Mireille Calle-Gruber et que Jean-Michel Maulpoix a préfacée, actuellement
sous presse et devant sortir en librairie le 22 septembre prochain.
Ce seront donc ses deux dernières publications.
Michel se nommait lui-même, avec l’humour qui lui était
coutumier, « L’Illustre inconnu ». On ne peut mieux dire, car, en dépit de nos
efforts d’éditeur, Michel Butor a souffert d’une réputation d’écrivain
difficile, ennuyeux, alors que la plupart de ses textes, hormis quelques-uns
relevant de la recherche, sont, non seulement accessibles, mais stimulants et,
souvent, carrément drôles.
À retrouver : Michel Butor, dernier envol
Il est certain qu’il aurait éclaté de rire à la lecture du
communiqué de presse de la ministre de la Culture dont il vaudrait mieux
oublier le nom, Madame Audrey Azoulay, déplorant la disparition de Michel Butor
qui obtint le prix Renaudot pour « La Consolidation » [sic]. Il s’agit,
évidemment, de « La Modification ». Ce n’était pas un de ses bonheurs de
mesurer combien la culture en France était désormais le dernier des soucis des
pauvres gens au pouvoir, mais cela ne l’empêchait pas de ferrailler :
la dette la dette la dette
des quartiers neufs sont déserts
tout neufs et même inachevés
et les autres sont surpeuplés
de clandestins et de chômeurs
la récession l’austérité
les épouvantails de la dette
il nous faut délocaliser
et de dire, à sa manière, le recul de la civilisation :
Dégagez le terrain bougnoules
romanichels crouilles négros
néanderthaliens demeurés
rebuts tordus débris minables
pouilleux lépreux pestiférés
marginaux réprouvés damnés
vous polluez notre atmosphère
c’est l’autorité qui le dit
Si vous n’avez jamais rien lu de Michel Butor, commencez par
Improvisations sur Michel Butor que nous avons repris en poche dans la
collection « Minos ». Il y raconte son aventure littéraire très simplement. Il
s’adresse aux étudiants que nous sommes tous et que nous ne devrons jamais
cesser d’être. Lisez aussi son anthologie de poèmes qui paraît en septembre. Il
a fait le choix des textes avec Mireille-Calle Gruber et c’est son dernier
livre.